Comment peut-on être pélerin ?

C'est un moment étrange, celui où l'on saute le pas, portant sa maison sur son dos, tel un escargot. Descendre les grands escaliers de la Basilique du Puy comme on se jetterait dans le vide. Et devenir ce que les autres regardent avec beaucoup d'interrogations, voire parfois un zeste de dédain, un pèlerin. 

Accepter de larguer les amarres sans bien savoir ni comment ni pourquoi, se mêler à d'autres dont on ne connaît pas les codes, partir, prendre la route. Enfin. Tourner une page sans trop connaître ce qu'il y a derrière, et renoncer. Renoncer à tant de choses de son plein gré et d'abord à ce que l'on croit qui constitue notre identité. Sur le Chemin, nous devenons un prénom, un lieu de départ, un autre d'arrivée (tout le monde ne va pas jusqu'à Santiago). Peu d'autres questions, sauf si l'on tisse au fil du temps des liens plus profonds. Renoncer aussi à notre confort et ce que l'on croît être notre sécurité.

Comment peut-on être pèlerin ? Accepter de dormir dans des dortoirs de 4 à... 40 personnes (voire davantage !). Manger du porc (la viande la moins chère il faut croire) agrémenter à toutes les sauces ? Être réveillé à 6 heures voire plus tôt pour marcher tant qu'il ne fait pas trop chaud ? Bronzer en tranches napolitaine ? Souffrir des pieds (le pèlerin prie avec ses pieds, pouvons-nous tous confirmer...) ? Mais aussi de la chaleur, du froid, de la pluie, de la promiscuité, voire de la soif parfois (et donc fréquenter avec une grande assiduité les cimetières, points d'eau providentiels !) ? Sans oublier le pompon, tous ces insectes qui nous font la cours au quotidien, les punaises de lit et les tiques devenant des obsessions pour certains ?

Alors comment expliquer que le Chemin nous appelle et nous rappelle avec une telle intensité, que toute personne l'ayant parcouru en tout ou partie, sait qu'elle y retournera. Un jour. Tout autant qu'il existe un esprit du Chemin, il existe une magie du Chemin. Magie des retrouvailles avec soi-même à nulle autre pareille (dans son incarnation jusqu'à son essence spirituelle). Magie de la rencontre avec l'autre, les autres, cœur à cœur, compagnons au sens littéral du terme avec lequel on partage le pain (et la bière !). Célébrer. Rire et chanter. Et parfois pleurer. Se soutenir. Être ensemble à l'école de notre humanité, de notre humilité. Et finalement, au fil de nos pas, trouver la vie bien légère, se concentrer uniquement sur ce qui est nécessaire, le vivre, le dormir, le manger. Véritablement s'en remettre, se confier, cesser de tout organiser, marcher, marcher. S'ouvrir à l'autre, à l'étranger, à la vie, son impressionnante diversité, et sa beauté. Pèleriner, cheminer, c'est toucher du doigt l'essentiel - l'essence du ciel -, renoncer à s'attacher, prendre conscience de ses propres priorités. Devenir poussière d'étoile. Pour irradier. L'amour et la liberté.

(La stèle sur la photo marque l'endroit où se rejoignent trois des quatre chemins français vers Saint-Jacques de Compostelle, celui du Puy, de Vezelay et de Tours)

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